Chronique de l’ancien monde

L’allocution tardive du président de la République, intervenue après quatre semaines de conflit des gilets jaunes, peine sans grande surprise à convaincre. Au moins aura-t-il réussi à ne pas rajouter d’huile sur le feu. Le timide mea culpa jupitérien présentait cependant tous les atours d’un épilogue pathétique d’une aventure commencée il y a maintenant dix huit mois, le jour où les français décidèrent de renverser la table politique.

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En mai 2017, on allait voir ce qu’on allait voir : exit les vieux partis et place aux jeunes ! Pour ma part, étant alors dans ma cinquante-sixième année, et en même temps dans ma vingt-deuxième de militantisme « de base » au Parti socialiste, je ne me suis pas vraiment senti concerné. Je l’étais en fait d’autant moins que je n’ai pas adhéré un seul instant à cette vision de « nouveau monde » supposé enterrer le clivage gauche / droite. Un « sang neuf » jetait sans états d’âmes aux oubliettes, non seulement les politiciens qui avaient déçu, ce qui peut à la rigueur se comprendre, mais avec eux, sur leur seule étiquette, toute une génération de militants sincères animés jusque là par un sacerdoce à battre le pavé pour des causes auxquelles ils croient, pour beaucoup depuis très longtemps avant que leurs nouveaux juges et bourreaux ne se décident à sortir du bois. Sans illusion alors sur des promesses qui m’apparaissaient conduire à une impasse, au moins n’ai-je guère aujourd’hui matière à déception, du moins pas plus que je jour du scrutin, d’autant que j’ai pu mettre à profit le temps gagné pour finaliser le projet Imperium sur lequel je travaillais depuis longtemps. En dehors de cela, à défaut de meilleures opportunités d’action civique, je n’avais pas vraiment mieux à faire que d’observer un pas en arrière comment allait de débrouiller, à mon niveau local, ces jeunes pousses supposées nous ringardiser.

La suite des événements nationaux à défrayé la chronique. Les résultats attendus ont – une fois encore – brillé par leur absence, la popularité du président de la République a décliné et un sondage de mars dernier révélait qu’une majorité de français classe désormais la République en marche à droite. Le « nouveau monde » promis révèle de plus ne plus nettement sa gémellité avec l’ancien dont il est issu. À la fin de l’été, Emmanuel Macron persistait encore à vouloir bousculer les codes, en déclarant notamment que « deux visions européennes s’opposent : une vision nationaliste et une vision progressiste ». La rhétorique est éloquente, en particulier la récupération du mot « progressiste » associée depuis toujours à un idéal de gauche, et qui serait à l’entendre désormais indiqué pour désigner la mondialisation libérale, autrement dit capitaliste. La vision contraire, dite « nationaliste », assume pour sa part à l’évidence, de par sa contrariété posée avec la notion de « progrès », le rôle du méchant naguère attribué à la droite. L’apparente modernité de l’injonction dissimule mal le recyclage moderne du « au secours, la droite reviens ! » des beaux jours de la communication du PS. Le « nouveau monde » peine décidément à surprendre autant qu’à susciter un début d’espoir.

Pour être honnête, la nouvelle marche républicaine en aura eu au moins deux vertus : d’abord d’avoir barré la route à qui-vous-savez, ensuite d’avoir justement fait sortir du bois, au niveau local, des citoyennes et des citoyens que nous désespérions d’atteindre. Je crois même que c’est la première question que j’ai posée au marcheurs du Haut Vaucluse : « mais où étiez-vous ? » Par la suite, les sympathies devenant amitiés, j’ai pu de temps à autre avoir un aperçu de leur agacement à devoir ressortir des rames à peine rangées à chaque nouvelle maladresse de communication présidentielle, ou de leurs doutes internes quand les puristes des premières heures se retrouvaient confrontés aux ambitieux à l’odorat aiguisé par les opportunités alimentaires, comme aux grandes heures du temps jadis. Mais leur mimétisme de l’ancien monde ne s’est guère mieux exprimé ces derniers temps que dans les éléments de langage repris en cœur pour admonester « l’irresponsabilité » des gilets jaunes. Que des militants se mettent en devoir de défendre l’action du gouvernement, en rappelant les mesures que l’on ne saurait qualifier de « cadeaux aux riches », c’est de bonne guerre. Mais quand certains d’entre eux décrient la mobilisation des gilets jaunes au motif qu’ils pleureraient plus qu’ils n’ont mal au ventre, en faisant chorus, entre autres exemples, à l’anecdote déshonnête du « plein qui permettrait de faire aujourd’hui X fois plus de kilomètres d’hier », ils ne sauraient mieux illustrer ce « hors sol » qui causa la perte du PS. Vu de l’ancien monde, on a envie de dire : tout ça pour ça !?

Certes, parmi les « Macron démission », quelques « Macron tiens bon » rappellent que le large soutien des français au mouvement n’est pas unanime. Mais lequel le fut jamais ? Au delà du soutien massif de l’opinion, le meilleur démenti aux critiques reste la mobilisation soutenue des gilets jaunes quand n’importe quel militant un peu aguerri sait la difficulté à mobiliser. Mieux, ils pulvériseraient sans conteste toute concurrence au titre d’incarnation de la France éternelle, la seule qui soit, celle des citoyens ordinaires capables de se soulever contre l’injustice, pour eux-mêmes comme autrefois pour l’honneur d’un petit capitaine d’artillerie juif. C’est la France qu’on nous envie hors de nos frontières, celle qui ose, celle qui ne se laisse pas faire, celle qui a des bijoux de famille à défaut d’un bas de laine, bref celle qu’on aime, du moins jusqu’aux dégradations perpétrées sur les Champs-Élysées et ailleurs. Cette France-là, ce n’est certainement pas celle qui s’en prend à ses monuments et ses symboles, et moins que tout autre à la tombe du soldat inconnu ! Le spectacle affligeant de ses exactions ne saurait être dissocié de la sentence de cette dame parmi d’autres en gilet jaune, interviewée au hasard des rues, qui contestait les portes parole du mouvement multiforme, mêmes réduits en « communicants officiels », « ni leaders ni décisionnaires mais de simples messagers », ne reconnaissant que le « Peuple », ce concept polysémique propres à toutes les récupérations. Voilà comment un mouvement populaire se retrouve à son tour pris au même piège que les apprentis marcheurs contre lesquels ils manifestent, celui d’une table rase irréfléchie pour se révéler in fine incapable d’autre chose que de reproduire les mêmes causes avec les mêmes effets. Car une fois les démonstrations de force passées, c’est bien l’étape suivante de la construction qui renvoie dos-à-dos tous les efforts des deux « mondes ».

Les gilets jaunes n’ont cependant rien fait d’autre que gambiller sur l’air à la mode du « renouvellement » des pratiques politiques, claironné l’année dernière par les choristes du « ni droite ni gauche » sous la baguette des marcheurs aujourd’hui conspués. C’est bien le parti présidentiel qui a allumé la mèche avec toute l’inconséquence de l’inexpérience. Le fait que la gauche comme la droite aient déçu ne signifie pas pour autant la disparition d’une réalité politique plus que bicentenaire. Nos nouveaux apprentis sorciers sont en train d’apprendre à leurs dépens ce que leurs prédécesseurs savent depuis longtemps, à savoir que le face-à-face dans l’hémicycle sert surtout à éviter le face-à-face dans la rue, celui-là même qui se déroule sous leurs yeux, et les nôtres. En poussant la réflexion, ils pourraient aller jusqu’à ré-inventer que ce clivage, auquel on prétend opposer une velléité d’unité sans prendre garde que ce fantasme n’est rien d’autre qu’un autre mot pour « totalité », et sauf à vouloir un axe vertical entre une France « d’en haut » et une autre « d’en bas », ne saurait suivre qu’une ligne horizontale, ou transversale, qui va par convention de gauche à droite. A vouloir à tout prix vendre un « nouveau monde », ils pourraient apprendre des erreurs de leurs prédécesseurs au lieu de les reproduire, en renouvelant par exemple l’essence du clivage au lieu de prétendre le nier. Ils pourraient commencer par arrêter de brouiller les repères en se positionnant eux-mêmes, et peut-être enchaîner utilement par l’encouragement à un dialogue constructif entre deux pôles qui se témoigneraient enfin l’un à l’autre le respect du à tous les serviteurs de la République, reléguant les adeptes du « tous pourris » aux franges extrêmes du débat, au lieu de nous sortir un remake de la sérénade des gentils contre les méchants.

A trop jouer avec le feu, il n’y a rien d’étonnant à ce que le Peuple décide à son tour de bousculer les codes, à commencer par le rejet de toute idée de représentation. Bien sûr, cette défiance n’est pas à porter au seul débit de l’Olympe actuel et remonte beaucoup plus loin. Au fil des années, la distance sociale qui sépare ceux qui expériencent la vie vue d’en bas et ceux qui la pensent vue d’en haut a progressivement pris des allures de Grand Canyon. Mais en jouant avec une inconséquence sidérante sur l’idée qu’on pouvait de passer de médiation, le pouvoir s’est retrouvé dans la posture de l’arroseur arrosé. Les golden boys de la start-up nation pensaient, dans leur bulle technocratique, pouvoir surmonter tous les obstacles à force de persuasion. Ils n’ont juste pas anticipé l’absence d’interlocuteurs et la haine brute pour seul vis-à-vis. Seulement les gilets jaunes en font aussi les frais. Après avoir voué pèle-mêle aux gémonies syndicats, porte-paroles et autres « messagers », certains semblent découvrir qu’une faune hétéroclite a la fâcheuse habitude de se mêler aux mouvements sociaux jusqu’à en ternir l’image par des excès de violence qui indisposent l’opinion. Certains novices du bitume doivent se demander aujourd’hui en quoi leurs appels pathétiques aux « pas d’amalgame » seraient mieux entendus que ceux qu’eux-mêmes, naguère, ignorèrent peut-être. Ensuite, à l’heure des revendications, les listes d’exigences pour le moins bigarrées qui fleurissent sur les réseaux sociaux rappellent le prix des larges mobilisations. Certes, la déstructuration protéiforme permet d’amalgamer un large panel d’audiences et de soutiens, mais le retour de balancier rappelle au retour sur Terre quand vient le moment d’en extraire une ligne directrice pour, finalement, tenter d’avancer. Va-t-on redécouvrir, au moment de rassembler trois cent mille personnes à la table des négociations, les nécessité de structure et de représentation tant décriées ? A moins que l’objectif ne soit simplement de faire céder le gouvernement au prix de lui couper les ailes, et tout serait alors à recommencer avec le prochain. Ainsi iraient donc les cycles politiques, ad infinitum, tant qu’il restera à chacun un strict minimum à perdre, juste suffisant pour décourager toute velléité de soulèvement général, ce à quoi le capital instruit par Marx continuera à veiller scrupuleusement.

Malgré ces limites, ce mouvement n’en crédite pas moins, comme déjà dit plus haut, l’honneur du pays des Droits de l’Homme. Toute âme citoyenne ne peut qu’approuver sans réserve le combat de nos compatriotes pour la qualité de vie, une expression sans doute plus appropriée que le sempiternel « pouvoir d’achat » popularisé par la société de consommation, ou pour le dire plus directement encore, la dignité inconditionnelle exigible pour chacun sans restriction dans l’état de civilisation auquel nous prétendons. Cette lutte, plus que toute autre, nous place le nez face à nos impasses et mérite un meilleur traitement que les fins de non recevoir de part et d’autre. Ceux qui se désolidarisent du mouvement au prétexte qu’il « ne changerait rien » n’apportent pas plus de perspectives que ceux qui, conscient des limites du mouvement, tentent néanmoins en dernier argument « qu’au moins on a renouvelé les têtes ! ». Piètre consolation, surtout en songeant que parmi celles « coupées » figuraient, au milieu sans doute d’une élite hors sol affichant un réel mépris de classe, beaucoup de femmes et d’hommes simplement dépassés par l’ampleur de leur responsabilité. Je ne peux à ce stade m’empêcher de penser à mes années au PS, aux batailles perdues d’avance parce que la ligne alternative que je défendais était notoirement minoritaire. Je me souviens encore de ce congrès fédéral ou un camarade recueillait des salves d’applaudissements, les miens inclus, en bousculant avec éloquence et dans le sens qui convenait les intervenants de la tribune. Je ne souviens encore de leur sortie tonitruante qu’ils soignèrent en annonçant qu’ils rendaient leur carte en signe de protestation, figeant mes mains parallèles devant ma stupéfaction : tout ça pour annoncer qu’ils laissaient le champ libre, à l’heure du vote, à ceux qu’ils critiquaient. Aux marcheurs comme aux gilets jaunes, j’aurais presque aujourd’hui envie de demander où étaient ce jour-là les mains qu’ils n’ont pas levé, si je n’étais conscient que ce n’est pas si simple.

La question centrale, laissée béante par une situation quasi-insurrectionnelle approuvée par une large majorité, est bien celle-ci : pourquoi celles et ceux qui manifestent aujourd’hui n’ont-ils pas pris la décision d’agir en amont. Car la force de la démocratie est bien là, à notre portée, et nous nous obstinons à refuser de nous en servir ! Pire, des voix s’élèvent pour appeler « démocratie » le tintamarre de la rue. Non ! Ça, c’est l’ochlocratie ! Comme aurait pu dire Coluche : pour ceux qui ont fait de la philosophie, l’ochlocratie c’est l’ochlocratie, pour les autres c’est le bordel. La démocratie, ça se pratique loin des passions, avec distance raisonnée et dans le respect de tous les points de vue. La démocratie, ça se passe autour des tables, dans les salles de réunion et dans les isoloirs. La question qui s’impose est alors de savoir pourquoi le peuple se tire sciemment une balle dans le pied en fuyant justement tous ces endroits. L’argument prétendant que nous ne serions plus en démocratie ne tient décidément pas. Je l’ai plaidé au Café Citoyen : le référendum de 2005, si souvent cité à tort à charge de cette interprétation est en fait la preuve contraire : sachant qu’il n’y avait pas de « plan B », pourquoi nos dirigeants auraient-ils pris le risque insensé de cette consultation si ce n’est parce qu’ils savent le poids de l’opinion, et qu’ils ont recherché cette légitimité que le Peuple souverain lui a refusée. Plus près de nous, l’opinion a justement joué un rôle décisif dans le volte-face du gouvernement : l’opinion, pas la seule mobilisation ! Ce sont bien les sondages qui ont suivi les dégradations, notamment celles de l’arc de triomphe, qui ont décidé de la suite. L’opinion favorable aux gilets jaunes n’ayant chuté que de 80 % à 72 % le week-end, le gouvernement pliait lundi. Nul doute que si elle avait dévissé, la réponse aurait été toute autre. La bataille de l’opinion confère la légitimité à qui la gagne et scelle le sort de qui la perd. La question s’invite alors toujours plus aiguë : pourquoi le Peuple se détourne-t-il des endroits où se fait l’opinion, et par là le pouvoir démocratique ?

Pour être honnête, j’ai pu autrefois céder trop vite à la tentation de répondre à cette question par un reproche de démission, et j’avoue en avoir longtemps voulu au Peuple « souverain » (avec guillemets dans le texte) pour ce que j’interprétais comme une fuite de responsabilité. J’avais tort. Je mesurais mal alors le fondement de la désolidarisation d’une grande partie du Peuple envers la République et ses modes d’expression, et qui éclate aujourd’hui dans la rue. On a beaucoup parlé de pouvoir d’achat, ce qui implique bien plus que des seuls prix à la pompe : il a suffisamment été dit que ce n’était que la goutte d’essence qui avait fait déborder le réservoir. Certes, la difficulté à « boucler ses fins de mois » est une réalité pour un nombre de ménages d’autant plus insupportable que le seuil d’acceptation en la matière, pour toute âme douée d’empathie, ne saurait être supérieur à zéro. Elle peut expliquer, en partie, cette fuite des lieux de débat, au-delà du seul coût de l’adhésion, pour nombre d’exclus qui estiment sûrement à juste titre avoir mieux à faire. Mais ça n’explique pas tout. J’avais bien songé au frein de l’amour-propre, mais uniquement sous l’angle d’une pudeur à exposer sa situation sociale. Je pensais que c’était stupide, que les lieux de débats politiques étaient justement des endroits ou pouvaient se tisser de nouvelles solidarités entre citoyens partageant les mêmes valeurs. Mais je mesurais mal l’atteinte que pouvait constituer à la dignité le simple fait de prétendre participer aux débats quand on se croit dépourvu de l’éloquence nécessaire face aux « sachants » ; d’autant que ces derniers sont souvent bien plus enclins à utiliser leurs talents oratoires pour expliquer en quoi une demande est déraisonnable plutôt que de formuler une réponse, souvent d’ailleurs pour masquer qu’ils en sont dépourvus. En matière de condescendance, on ne fait pas mieux, surtout quand la demande entendait exprimer une réelle souffrance. Et là, on ne parle pas de l’arrogance parisienne, mais bien de celle de qui sévit partout ailleurs, y compris localement au plus près des gens. Sous cette lumière, le rejet catégorique par les gilets jaunes de toute médiation apparaît bien plus compréhensible. Moi qui m’exprime à peu près correctement, comment pouvais-je mesurer l’entrave à la parole que constitue le manque de confiance en soi ?

Pourtant l’attente est bien réelle. Parmi les revendications fantaisistes exprimée durant le conflit, on a pu entendre une demande de représentation directe du Peuple à l’assemblée. On retrouve bien la logique de la défiance envers les représentants. Ce qui est beaucoup moins logique, c’est de prétendre s’en remettre à nouveau à d’autres représentants, fussent-ils « directs » sans passer la l’entremise de partis. C’est oublier un peu vite que les uns comme les autres reçoivent leurs mandats dans les mêmes urnes, et sont confrontés au même environnement économique. Les citoyens disposent pourtant sous leur nez d’espaces d’expression directe, et ce sont les instances locales des partis politiques. Encore doivent-elles être en mesure de faire vivre un réel débat susceptible d’intégrer touts les attentes individuelles dans un objectif commun, et non une simple tribune pour les « sachants » dont le savoir se limite souvent au savoir-parler. Le manque de confiance des plus éloignés de l’éloquence pourra peut-être trouver une solution inattendue dans la portée historique du conflit actuel : peut-être qu’à l’avenir « s’exprimer comme un gilet jaune » clouera le bec de n’importe quel beau sachant. Plus sûrement, une fois bien intégré que le vocabulaire pseudo-savant ne sert la plupart du temps que d’emballage flatteur au vide conceptuel, cela devient vite beaucoup facile de placer un « attend, je n’ai pas fait l’ENA, moi. Expliques-moi donc ça comme si j’avais cinq ans ! ». Ça, c’est pour le fond. Mais la forme importe tout autant. Les débats enflammés, pour ne pas dire conflictuels, satisfont sans doute l’esprit frondeur gaulois, beaucoup moins les meilleurs démocrates. Ce défi-là requiert les plus grandes forces de caractère pour discipliner les débats, d’autant que sur ce point l’exemple d’en haut est déplorable. Que la gauche et le droite apprennent à se respecter, et de même les courants au sein propre des formations, est un minimum qui requiert une grande force modératrice. Pour ce talent-là, pas besoin de l’ENA ! Le dernier obstacle, enfin, n’est pas le moindre : il est difficile de rassembler, voire impossible au-delà des premiers cercles au sein de toute cause, quand l’objectif commun n’est pas clairement défini. Sur ce dernier point, la Déclaration de principes d’Imperium se veut une contribution utile.

Un gilet jaune a appelé les français à « sortir de leur canapé » pour les soutenir. La chose était d’autant plus déconcertante que beaucoup avouaient sans complexe dans le même temps « n’avoir jamais manifesté » avant. Autrement dit, eux-mêmes ne bougèrent guère de leur canapé quand d’autres avaient besoin d’eux. Ces exemples montrent simplement que la mobilisation, là encore, est un art difficile. Mais son point de départ est en revanche très facile : la première contribution directe à la portée des plus motivés à bouger les lignes vise très clairement les instances locales des partis politiques. Le débat démocratique nécessite des repères : que chacun se positionne alors à gauche ou à droite – voir la Déclaration de Principes – puis, au lieu de fustiger nos représentants pour n’avoir simplement pas su s’y opposer, s’empare de sa nouvelle légitimité pour s’y résoudre maintenant. Il suffit d’observer le désarroi du gouvernement face à la colère d’un Peuple pour imaginer sans peine celui de n’importe quelle brochette de beaux sachants locaux face à seulement quelques dizaines de militants résolus. Bien sûr, il faudra faire son deuil de quelques zones de confort, comme le clientélisme des figures charismatiques : mieux vaut une défaite face à un adversaire respectable qu’une victoire derrière un baron. Mais ce dernier point ne devrait pas poser trop de problèmes aux plus résolus à renouveler les pratiques démocratiques. Après, il nous appartiendra à tous de restaurer le débat national entre deux pôles capables de rassembler, à gauche comme à droite, leurs formations émiettées. Que les partis fusionnent, avec ou sans courants organisés, ou qu’ils s’unissent sur un mode confédéral, peut importe. L’essentiel est qu’une base militante solide, consciente d’un objectif commun, cesse de s’épuiser dans une quête impossible de sauveur, jeune ou vieux, neuf ou recyclé, et ré-apprennent à investir dans des représentants efficaces, autrement dit ni les boy-scouts emplis de « valeurs » ni les larbins manipulateurs, fussent-ils au service du « Peuple », mais ceux qui savent obtenir des résultats, c’est-a-dire les bons vieux cyniques aux dents qui rayent le parquet. Seulement cette fois, que ces résultats soient évalués à l’aune d’un cahier des charges contrôlé par des citoyens instruits.

Crédit illustration : an Anon — https://www.flickr.com/photos/pjnelson/46239241651/, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=74962190

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